LIQUIDES

Publié le par christiane loubier

Dehors le fleuve

Tantôt indomptable

Tantôt serpent tranquille

 

Dehors la pluie qui vient mouiller

Cette salive à la traîne

Sur mon trottoir familier

 

Dehors la toux grasse

D’un enfant en autobus

Avec moi dedans

 

Dedans le sang

Condamne mon ventre

Le temps submerge mes songes

 

Tous ces sous-entendus liquides

Toute cette vie retenant à peine son eau

LE BRUIT

Publié le par christiane loubier

Négliger le bruit des lèvres

Inutile comme les prières

Prononcées pour l'oubli


Égrener les ombres entre ses doigts

Approcher la lampe

Pour que vacille la lumière

Dans l’ouvrage ajouré de braises

 

 

 

Christiane Loubier

LA MORT EST UN DIALOGUE

Publié le par christiane loubier

La mort est un dialogue entre 

L'esprit et la poussière

« Dissous-toi », dit la mort —

L'esprit « Madame j'ai une autre espérance » —

 

La mort en doute — reprend sa plaidoirie —

L'esprit lui tourne le dos

Laissant simplement pour preuve

Un manteau d'argile

 

 

 

Emily Dickinson

Lieu-dit l'éternité, traduit par Patrick Reumaux

L'HEURE DITE

Publié le par christiane loubier

Comme tant d'autres

Nous avons eu notre heure

Nos canons nos veuves

Nos prières pour qu’il pleuve

 

Le printemps si hivernal

Le silence plein de feuilles mortes

Des forêts d’oubli

La solitude en trop

 

Comme tant d'autres 

Nous avons eu notre heure

Brève bien sonnée 

L'histoire contre la montre 

 

C'est peu 

C'est beaucoup 

Le mystère reste entier

 

 

 

Christiane Loubier

JOUR D'ÉTÉ

Publié le par christiane loubier

Le temps est pesant

L’air humide

La lourde terre qui tourne

 

Dans le champ d’à côté

Sous un soleil ultraviolet

On couche les grains

On fauche les fleurs

 

Dans la maison d’en face

Le tue-mouches frappe

Le balai pousse l’ennui

De la femme aux yeux pâles

Qui sommeille l’après-midi

 

Sous le ciel des pruniers bleus

 

 

 

Christiane Loubier

QUINCAILLERIE

Publié le par christiane loubier

Dans une quincaillerie de détail en province

des hommes vont choisir

des vis et des écrous

et leurs cheveux sont gris et leurs cheveux sont roux

ou roidis ou rebelles.

La large boutique s'emplit d'un air bleuté,

dans son odeur de fer

de jeunes femmes laissent fuir

leur parfum corporel.

Il suffit de toucher verrous et croix de grilles

qu'on vend là virginales

pour sentir le poids du monde inéluctable.

 

Ainsi la quincaillerie vogue vers l'éternel

et vend à satiété

les grands clous qui fulgurent.

 

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Usage du Temps, Gallimard, 1943

 

 

 

 


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De sa génération, Follain a été le premier à écrire
en dehors du surréalisme, 
sinon contre lui.
Peut-être parce que, comme moi, il avait vécu
longtemps à la campagne. 
Et la campagne d'abord,
c'est le silence. 
Le surréalisme a produit beaucoup de bruit [...]


Eugène Guillevic, dans Lire Follain, PUL, 1981