26 articles avec carnet du pays rapaille

LA CROIX DU CHEMIN

Publié le par christiane loubier

Il existe des pays

Plus tristes que d’autres

Où le gel casse les heures

Où le temps s’allonge

Entre les rues et les jours

 

À la croisée du chemin

On a repeint le Christ en croix

Ses cheveux couronnés

Sont roux sous les pluies acides

 

Le rosier rugosa

L’encage à chaque printemps

Les narcisses des poètes

Disparus des catalogues

Parfument ses pieds

 

Il existe des pays

Plus tristes que d’autres

Collier d’épines sans couronne

 

 

 

Christiane Loubier

LA LANGUE AU CLOU

Publié le par christiane loubier

Mots parlés

Mots condamnés

Mots d’insulaires

Pauvres mots

D’histoires amères

 

La langue au clou

Vous viendrez voir docteur

Les menacés les mourants

Sur la route couchés

Dans les chemins plus loin

Déracinés desséchés

Dans les rides des parchemins

 

On tirera un portrait

Comme pour l’enfance

Sur les photos

Puis le coffre le tiroir

C’est commode

Pour le souvenir

 

Moi j’aimerais mieux

Un petit herbier

Pour dormir longtemps

Avec les fleurs

 

 

 

Christiane Loubier

SUR LES ÉPAULES

Publié le par christiane loubier

Il a beaucoup plu dans nos vies

J’ai longtemps joué sous la galerie

Beaucoup lu dans les penderies

La peur commence dans les genoux

 

Mourir est un pays sur les épaules

Vivre est une brèche

Dans la douleur du monde


Une parole chauve

Accrochée tête en bas

Aux ailes de la nuit

 

 

 

Christiane Loubier

FOLLE AVOINE

Publié le par christiane loubier

L’histoire est un pré

On a bien tout fauché

On a bien tout tassé

Au grenier de la mémoire

Les granges se noient dans les blés

 

Je ne veux rien oublier


Les bras des ouvreurs de chemin

La vaillance des chevaux

Les maisons blanchies à la chaux

La rivière Famine

Le visage du semeur

La vie frappée au fer

 

Les baïonnettes mystérieuses

Les nuits incendiées

La race au gibet

Les clochers de l’échafaud

L’oubli de l’offense

Le sang trop vite essuyé

 

La misère à carreaux

Les bretelles sans fusil

Les fronts silencieux

La soumission héréditaire

Les chapeaux de feutre

Sur la tête des hommes

 

Je ne veux rien oublier

 

L’égoïne chantante

Les montagnes coupées

Le bois à vendre debout

L’oiseau derrière la vitre

Les couvertures à pointes folles

Et toutes ces choses qui s’envolent

 

Les faucons tournant au-dessus du fleuve

Les cierges contre l’orage

La poule donnée au diable

Le ciel de la chasse-galerie

La mélancolie de l’accordéon

 

L’hiver qui tombe du ciel

Les glissades sur la pelle

Les miettes sur la neige

Le temps échappé

Le manque de jour

Le manque tout court

 

Je ne veux rien oublier

 

J’habite une légende

Dont je ne connais plus la langue

L’alouette renonce à sa colère

Mais je regarde toujours le feu

Je ne veux rien oublier

Du soleil rose et jaune

Qui se lève à l’est

À tous les étages du gâteau de la noce

 

 

 

Christiane Loubier

L'HEURE DES COMPTES

Publié le par christiane loubier

Dans ce pays

À la lumière trop courte

Aux dimanches trop lents

On compte à longueur d’année


Mois de neige

Soirs d’été

Soleils qui reculent

Feuilles qui s’envolent

Que du temps à soustraire


On compte sur les doigts

Les fleurs immortelles

Les oiseaux libres

Les eaux folles

Pure addition d’écolier


Les disparus se dénombrent

Les grands arbres

Les montagnes immuables

Les étoiles défuntes

Les places vides à la table

Les granges et les étables


Pays détenu

Existence chiffrée

L’aliénation se compte

Morts et chuchotements

Fatras trépas

Le tocsin de la soumission


Tout recommencer

Démailler remailler

Fermer le livre des peurs

Rouvrir l’herbier

À la première fleur


Trouver le pendule caché

Qui cassera l’heure des comptes

 

 

Christiane Loubier

LES CARRIOLES HORS DU TEMPS

Publié le par christiane loubier

À la manière de Charles Péguy

 

Vous n’avez plus connu

Ni vous ni moi

Cette vie jetée sur tout un peuple

Condamné d’avance à mourir de froid

 
Vous n’avez plus connu

Ces marcheurs bottés

Ces coureurs fatigués

Dormant dans les sapinages

Guettant les grands oiseaux

Et le pelage doux

 
Vous n’avez plus connu

L’hiver à chaque pas

Ces maisons calées jusqu’aux lucarnes

Cette neige tombant en peaux de lièvres

Vous n’avez plus connu

Ni vous ni moi

Ces constructeurs de traîneaux

Et de carrioles hors du temps


Vous n’avez plus connu

Le fusil au champ

Les arbres percés de chalumeau

Ces laboureurs et ces faucheurs

Dépendant du pis et des épis

Vous n’avez plus connu

Ces brodeuses et ces fileuses

Penchées sur la roue disparue

      
Vous n’avez plus connu

Cette patience à longueur d’année

Ni vous ni moi

Mêlant et démêlant

Le foin et les fils d’or

Avec la fourche de maintenant

      
Vous n’avez plus connu

Les boîtes de conserves

Changées en pots de géraniums

Les pruniers d’habitant

Les pommes surettes dans l’arbre

Les oiseaux avec le linge

Sous les larmiers des galeries

      
Vous n’avez plus connu

Le lin pour rouler la pâte

Les épluchures dans le tablier

Les bassines de l’accouchement

Le ber et la berçante

      
Vous n’avez plus connu

Le chant de l’harmonium

La peine s’égrenant aux chapelets

La solitude de bancs de quêteux

Et de bancs d’église

      
Surtout vous n’avez plus connu

Ni vous ni moi

Cette langue féconde

Débordant les granges et les étables

Ce fleuve ce patrimoine bleu

Qu’on range maintenant

Dans des coffres de cèdres

Comme on plie la courtepointe

Des velours anciens


Christiane Loubier

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